Enfilez vos chaussures de marche,
votre bonnet et votre pull le plus chaud, J’ai si froid… vous emmène pour une excursion de plus d’une heure dans les Pyrénées ariégeoises !
En effet, cet album est une véritable randonnée en haute montagne, avec son ascension lente, pénible et pleine de doutes, pour finalement atteindre le sommet et son point de vue panoramique sur les paysages spectaculaires, puis et sa redescente, la tête pleine de belles images et de nouvelles questions.
Mais ce n’est pas tout, l’âme esseulée de brouillard dessine, à travers ce périple, une seconde métaphore, spirituelle cette fois : celle du besoin de fuite, du dépassement de soi aussi, celle de la profonde introspection à travers la solitude extrême et l’isolement en pleine nature. Aux grands maux, les grands sommets.
Celles et ceux qui ont vécu la Perte, se reconnaitront sûrement dans ce besoin quasi viscéral de partir le plus loin possible, de tout quitter comme pour fuir un environnement trop chargé en carbone et trouver une once d’oxygène ailleurs. Cette envie de laisser sa carcasse agonisante ici pour aller renaître là-bas, cette quête de renouer avec des besoins primaires pour relayer sa souffrance psychique au second plan : « je pars ! avoir peur, avoir froid, avoir mal » nous dit-elle.
Si « Loin des hommes » nous laisse dans l’ambiguïté entre une profonde déception sentimentale et un dégoût plus global de l’humanité, peut-être les deux, c’est en tout cas dans l’isolement et la nature que notre narratrice se réconcilie avec la vie, c’est la candeur du monde sauvage qui l’aide à rendre tolérable l’insupportable quotidien. Tel un refuge juste au bord du gouffre.
Car la montagne, c’est prendre de la hauteur, changer son point de vue, et observer de nouvelles perspectives. C’est marcher et camper seul, pour se reconnecter à soi, cultiver cette solitude comme force intérieure. Et bien sûr, c’est la nature, aussi majestueuse qu’hostile, qui pousse toujours à se remettre à sa place, se rappeler avec humilité combien la vie est belle parce que tellement fragile.
C’est cela que nous raconte Brouillard, dans une douleur tout sauf posturale, avec une violence à fleur de nerfs, sans jamais tomber dans le fatalisme morne du black dépressif. Non, pas de regrets, cet album semble nous hurler que la résilience c’est pour les faibles !
Et pour cause, on y laisse toujours un peu de nous, là-haut, dans ces sommets. Loin du monde virtuel, du partage inconditionnel et du tout instantané… Devant l’immense privilège de ces spectacles privés, devant tant de beauté et de magie de l’instant présent, qu’on ne cherche pas à immortaliser mais juste à savourer, pour soi et pour rien d’autre, comment ne pas être frappés de cette profonde et délicieuse mélancolie, ce langoureux vertige…
Alors quand on redescend, on sent grandir cette irrésistible envie de recommencer, parce qu’après tout, ce qui ne nous a pas tué nous a rendu plus fort. Cette crête qui semblait inatteignable, on l’a franchie, cette douleur insupportable s’est atténuée, et on est prêts pour de nouveaux sommets et de nouvelles crevasses. De toute façon, l’espoir crèvera en dernier, et puis ce n’est pas tant l’arrivée qui compte, ni même le chemin en fait. C’est de bouffer des émotions à la pelle à neige.
Souffrir, pour la beauté de l’épreuve.
(Merci Vincent)