Ces derniers temps, j’ai eu pas mal de migraines et des moments d’absence. On me disait de consulter mais vous savez comment c’est : on traîne, on n’a pas envie d’y aller, on remet ça au lendemain.
Jusqu’au jour où j’ai perdu connaissance, comme ça, d’un coup, et ça m’a vraiment inquiété.
J’imagine que ce sont les pompiers qui m’ont ramassé parce que je n’ai aucune idée de la manière dont je me suis retrouvé là, dans cette salle d’attente. Aucune idée non plus de l’endroit où on est : aux urgences de l’hôpital probablement. J’ai un méchant bruit qui bourdonne dans la tête, un peu comme s’il y avait une bataille qui s’y livrait.
En fouillant dans ma poche, je m’aperçois que j’ai perdu mon portable - qui a dû glisser quand je suis tombé. J’ai aussi égaré mes papiers et mes clefs. Je me demande comment je vais faire pour contacter mes proches et rentrer à la maison.
Il n’y a rien à faire dans cette pièce… Il y a bien quelques journaux et des exemplaires du Monde des Religions sur une table basse, mais ça ne me tente pas.
Je regarde autour de moi. Quelqu’un a peint des nuages sur le plafond, dans une pâle copie de la Chapelle Sixtine, avec des éclairs à la AC/DC entre le doigt d’un Dieu biker et d’un Adam en veste à patch. Le truc me met mal à l’aise et j’ignore pourquoi. Je détourne les yeux. J’observe mes compagnons de salle d’attente.
Il y a un adolescent boutonneux à l’air fatigué, avec un vieux Walkman sur les oreilles - je ne savais pas qu’on en trouvait encore, des comme ça. Il a dans les mains un magazine corné aux couleurs un peu criardes. À l’envers, j’arrive à lire le titre : Enfer Magazine. Il a dû être glissé par un esprit Malin sous les La Croix de la table basse.
Un peu plus loin, derrière une grosse plante verte (un petit pommier, en fait, avec des fruits appétissants que quelque chose d’indéfinissable - un vieux fond de culpabilité sans doute - vous retient de cueillir), il y a une jeune femme avec un sweat un peu trop grand pour elle. La meuf a l’air vénère. Elle met en marche un ghetto-blaster et se lance, avec une voix de rat trachéotomisé, dans un rap souffreteux sur un beat de boîte à rythme Bontempi. Elle a un briquet dans la main : on fait semblant de l’ignorer.
Les deux types qui ont l’air d’être le plus mal en point se tiennent près des toilettes.
L’un d’eux ne cesse de faire des va-et-vient entre les chiottes et la salle d’attente, et nous faisons tous semblant de ne pas entendre les bruits embarrassants qui sortent, sans que nous puissions en être certains, de sa bouche. Le mec doit avoir de gros ennuis gastriques - c’est probablement une maladie chronique. J’espère qu’on va lui prescrire un bon constipant.
Le deuxième type n’a pas toute sa tête. Il demande sans arrêt si le dératiseur est arrivé. Non, pas encore, j’ai envie de lui dire. T’as qu’à prendre ta flûte et les emmener vers Hamelin. Le mec est sapé comme s’il avait cousu ensemble des échantillons abandonnés par une costumière aveugle. …genre, dandy de la foire à la saucisse de Schnützgraffwitzenstein. Je l’avoue : j’espère qu’on va nous débarrasser de lui in extenso.
C’est alors que mon regard est attiré vers la droite où, dans un recoin, deux frères siamois sont installés côte à côte. Ils sont attachés par le manche, n’arrêtent pas de soliloquer et, maintenant que j’y prête attention, de faire des gestes saccadés sous leur pantalon. Je détourne vite le regard.
Un ange passe.
Les autres occupants de la salle d’attente sont un grand barbu à lunettes carrées et un archéologue, qui communiquent par des râles ; deux péquenots en kilt qui semblent sortir tout droit du casting de Highlander ; une nénette gothique dont le sourire figé promet une belle crise d’hystérie ; et un certain Howard, propre sur lui, mais avec quelque chose de tendu dans le regard et… la langue noire.
Une porte s’ouvre et des types - probablement des internes ou des infirmiers, qui s’appellent tous Michel à en juger par leur badge - apparaîssent enfin. Ils nous invitent à nous lever puis il nous mettent en rang d’oignons. Moi le dernier - à ma grande déception - et l’allemand en premier.
« Bon, les gars - et Mademoiselle ! - on a fini de délibérer. On a un peu pesé vos âmes aussi - rien de bien méchant. On va pas vous garder au Purgatoire plus longtemps. Voici la décision du Père… »
(Ils consultent une liste tenue par l’un d’entre eux).
"Les neuf qui sont derrière, disent les Cinq Michel d’une voix solennelle, vous allez en Enfer. C’est la porte de droite, avec la signalisation rouge.
« On va brûler pour l’éternité, c’est ça ? » demande Vestige (sur le point de s’écrouler).
« Pas du tout… On a une politique plus inclusive, maintenant. On vous transfère au Wacken. C’est bourrin juste comme il faut : vous y serez très bien. Mais toi, In Extremo, c’est direct l’Eurovision. On t’avait prévenu ! »
Puis il se tourne vers les derniers d’entre nous - les derniers seront les premiers, c’était donc vrai…
"Quant à vous trois, vous n’avez rien à faire ici… On vous envoie au Paradis.
Ihsahn, tu prends la porte de Maastricht (le Pelagic).
Poppy, tu passes par Ysselsteyn (le Jera).
Et toi, HEALTH, dit-il en me montrant du doigt, tu montes à Tilburg (le Roadburn). Mais tu restes à distance des coffee shops, cette fois !"
(Une ritournelle, un vague souvenir me revient alors : j’ai du bon tabac, dans mon tabac d’hier, j’ai du bon tabac, j’partage avec toi…).
Je regarde le Michel qui vient de me parler.
Alors…, c’est comme ça que je m’appelle… HEALTH… Avec des majuscules… La mémoire me revient - en minuscule. La Battle, les remontées de Bile Noire, un étang de goudron qui m’aspire, la sortie de route et puis la lose…
Je fais un pas en avant.
La salle d’attente disparaît.
Je sens le vent sur mon visage. Il y a des briques rouges autour de moi et une personne qui me tend la main :
« Bienvenue au Roadburn, monsieur HEALTH. Je m’appelle Walter. Vous avez l’air d’être sur un petit nuage. Tout va bien ? »
Pesée des âmes
(Absolution)
HEALTH (12 Je Vous Salue Marie Pleine de Crass)
POPPY (11 Je vous Salue Julie Christmas)
IHSAHN (10 génuflexions devant l’Empereur)
(Flagellation)
HOWARD (9 coups de fouet)
VESTIGE (8 coups de discipline)
SATCHVAI BANDE ENCORE (7 coups de… gaule)
ADX (6 coups d’Enfer Magazine enroulé sur lui-même)
THE REAL MCKENZIES (5 coups de cravache)
THE SOUTHERN RIVER BAND (4 coups de corde à lasso)
GUTALAX (3 coups d’anneau gastrique)
CALCINE (2 coups de rap à fromage)
🫏 Pesée des ânes
(Mortification)
IN EXTREMO (1 invitation gratuite pour jouer EN TÊTE D’AFFICHE au bingo du 3ème âge d’Arnac, Haute-Vienne, à 15h. Pour tout carton acheté, un porte-clef Orpéa sera offert).