RIVAL SONS, Le Radiant, Caluire.
Le Radiant, dans une banlieue plutôt aisée de Lyon, est un endroit qui accueille cette année Benjamin Biolay, Cali, Compay Segundo (qui ne jouent pas du death metal), les spectacles de Lambert Wilson ou de Bernard Werber (qui ne sont pas des punks à chien) et, ce soir, les Rival Sons. On n’est pas sous l’Altar, donc, on n’est pas à la Warzone. Le choix du lieu est important. J’ai mis une belle chemise.
Je ne suis pas un inconditionnel des Rival Sons. Plutôt un curieux. La connaissance de ce que l’on n’aime pas - ou pas tant que ça - permet de mieux cerner ce que l’on aime et pourquoi on l’aime. J’ai potassé quelques uns de leurs albums parce que je suis un mec séieux (je vous rappelle que je porte une chemise ce soir). J’ai un peu flirté avec la Grande Valkyrie Occidentale (le 4ème album) mais on n’a pas concrétisé. J’ai sondé les os qu’on m’avait donnés à ronger en me demandant lesquels étaient creux, et lesquels avaient de la moelle (Hollow bones, 5ème album). J’ai déterré quelques racines sauvages pour en humer le parfum (Feral roots, 6ème album). Et j’ai capté un moment de leur concert au Hellfest 2022 - un Feral roots moelleux, un Do your worst joué le mieux possible malgré des problèmes techniques.
Le nom, d’abord, le nom toujours : les Rival Sons. Qui sont-ils ?
Faut-il chercher du côté d’Abel et de Cain (le pouvoir de tuer), de Seth et d’Osiris (le pouvoir de faire ou de défaire le monde) ou même de Rémus et Romulus (le pouvoir de nommer) ? Rien de tout ça. Et pas la peine de chercher la petite bête ni dans la mite au logis. Il n’y a pas de fratrie dans le groupe. Il n’y a pas d’ennemis.
C’est pas plus compliqué que ça et c’est un peu la clef, c’est très américain : ça sonnait bien. Et les Rival Sons, le moins que l’on puisse dire, sur album ou bien sur scène,c’est que ça sonne bien.
D’ailleurs, « quand nous cherchions le nom du groupe, nous avions tout un tas d’idées, mais rien ne convenait vraiment. Nous avions un nom qui contenait le mot « rival » et un autre avec le nom « sons ». On a simplement additionné et collé les deux » (interview de Jay Buchanan dans Trebuchet Magazine, traduction perso donc peut-être pas irréprochable). C’est donc un concours de circonstance, des ciseaux, de la colle et des mots qui se regardent en chien de faïence sans aboyer. Et c’est finalement plutôt ça leur style, de coller et d’assembler : le présent et le passé, le moderne et le vintage, la vieille gratte et la production léchée. Il y a du Big Brother & The Holding Company dans leur musique, de la Janis qui ne filerait pas la jaunisse, on voit s’envoler les plumes d’un ou deux Eagles et cette facilité très west coast qui vous colle à la cervelle comme le fantôme d’un marshmallow. Oui, j’ai parlé de guimauve et de feu de camp (c’était L.A. Edwards qui assurait la 1ère partie, on aurait dit de tout petits Tom Petty, ou du Townes Van Zandt au goût de Zan, du Gram Parsons vendu au demi-gramme et coupé), j’ai même pensé à un moment à Jackson Browne. « Doctor, doctor » : est-ce que c’est grave ? Prenez Darkfighter (le morceau) : une pièce montée qui colle dans la nacelle de Led Zep une guitare hispanisante, de la slide, de l’orgue et bien plus encore. Ça ralentit, ça accélère, ça pèse des tonnes mais ça tient la route.
Des frères ennemis, alors ? Comment ça ? D’un côté, il y a ce que les Rival Sons sont. Et d’un autre côté, ce qu’ils ne sont pas.
RV n’est pas un shoot d’héroïne, une ligne de coke ni même une bouteille de scotch que l’on boirait cul sec, mais un vin de la Napa Valley, plutôt riche et capiteux : on se souvient d’ailleurs de la tenue Bordeaux de Jay Buchanan sur la scène de Clisson.
RV nest pas un engin de torture - vierge de fer, verge d’enfer - mais un canapé moelleux à déguster (gastronomique) ou dans lequel s’enfoncer (conforamique). RV n’est pas une ortie, un chardon, une vénéneuse, mais une plante d’ornement dont on peut se demander si les racines sauvages (les feral roots déjà citées) n’ont pas été un peu trop souvent bouturées.
Il y a eu de bons moments. Je fais partie de ceux qui trouvent que c’est mieux en concert, où l’on peut compter sur la puissance. Do your worst ne correspond toujours pas au cahier des charges de son titre, et c’est tant mieux. Il y a Electric man dans le mix énergétique. Open my eyes m’a ouvert les paupières après un Darkfighter en mode tu veux ou tu veux pas, même si tout ça a fini par le fameux solo de batterie. C’est légal, d’ailleurs, un solo de batterie ? Je veux dire, elle fait quoi, la police, il fait quoi le génie géhenne pendant qu’on est pris en otage par un solo de batterie ? Et puis les moments-clefs : un Darkside qui vous emmène dans une allée sombre pour vous faire votre petite fête, suivi par un Face of light qui vous dévoile le soleil. On enlève quelques soli, on laisse dans leur nid les moins beaux Eagles de la portée, on émince, on désacoustique un peu et c’est un groupe immense.
Ce soir, les frères ennemis n’étaient peut-être que cette dichotomie entre les deux derniers albums : « Darkfighter » et « Lightbringer ». Mais l’ombre est soeur de la lumière, et la différence est faible entre celui qui combat la nuit et celle qui apporte la clarté. Alors ils ont joué à la frontière, où la part d’ombre reste tamisée, jamais trop dark. Du rock, du blues rock, du classic rock, des moments parfois heavy parfois Grammy. C’était bien fait. Ils allaient très bien avec ma chemise. J’ai hoché la tête. J’ai dodeliné. Ça faisait longtemps que j’avais pas dodeliné. Sur Rapture, j’ai failli faire un slow avec la dame qui dodelinait à mes côtés. J’ai senti qu’elle lui plaisait, ma chemise. Les gens étaient heureux. Les filles souriaient. C’est important de faire sourire les filles.
Les mélodies sont imparables (Shooting stars). La voix est chaude, et rauque, et magnifique. Le son aussi est chaud et magnifique. Le gilet en daim de JB et les costumes sont, eh bien… magnifiques aussi. C’est peut-être là où il me manque un petit truc. Un tout petit truc. J’ai pas envie que le rock soit magnifique. Pas à ce point là. J’ai pas envie que le rock soit quoi que ce soit, d’ailleurs. Et encore moins ce qu’il a déjà été. J’ai besoin du rock, et j’ai besoin que le rock soit la question et surtout pas une réponse déjà donnée.
Le Radiant - le point radiant – cet endroit du ciel d’où semblent venir les météorites, était donc l’endroit parfait pour les Rival Sons. Car les météorites sont des corps célestes (les Rival Sons visent les étoiles) qui viennent du passé de notre univers (that good old rock’n’roll), laissent une trace dans la nuit (le groupe est incontestablement brillant) avant de laisser sur le sol une empreinte considérable.
Ce qu’il en reste, finalement ? Du plaisir. Une certaine forme de joie. Une chaleur typiquement américaine. Des mecs très pro et de belles chansons. Alors, ce frère ennemi ne serait-il pas cet autre moi-même ? La rivalité n’opposerait-elle pas cette partie de moi qui aime les Rival Sons et cette autre partie à qui il manque quelque chose ?
J’ai chantonné Feral roots (qu’ils n’ont pas joué) pendant tout le trajet du retour. Et le lendemain matin, je l’ai chantonnée encore en allumant la cheminée. J’ai mis la chemise dans la panière de linge sale. J’ai mis un tish d’Amenra et pris une place pour Wyatt E. Feral roots are calling me back home, dit la chanson. Mes racines sauvages me rappellent à la maison. Après-demain, j’irai à Grrrnd Zero.
PS Un vrai plaisir aussi d’avoir pu bavarder avec toi et avec ta fille, Steppe, même si tu m’avais promis un Doliprane que j’attends toujours. Ce sera pour la prochaine fois. Steppe by Steppe, comme on dit !