Votre portrait musical

( premier concert )

À 15 ans, je réussis à convaincre mon père de me descendre en voiture, depuis la petite station de ski où nous passons chacune de nos vacances (Arèches / Le Planay), jusqu’à la gare d’Albertville où je prends le train pour Lyon. Ce sera Electric Light Orchestra au Palais des Sports, hôte des 4 premiers concerts de ma vie (Téléphone, Bowie et The Police seront les suivants). E.L.O. est le 1er groupe entièrement à moi, après avoir épuisé la quinzaine d’albums de mon père (Pink Floyd, les Beatles, les Beach Boys, Simon & Garfunkel, les Eagles et, bizarrement, un live de Gong et le premier Kraftwerk).

E.L.O est un bon ersatz des Fab Four, entre pop et rock, et les albums avaient été poncés comme il se doit par un adolescent passionné.

Le début d’une très, très longue série et déjà, peut-être, en gestation, l’idée que le voyage, la liberté et les concerts forment un beau mélange.

Je vais simplement… un peu plus loin maintenant.

( premier concert metal )

Je crois que je n’y suis pas allé avec le dos de la cuillère…

En 2016, je quitte Lyon et le boulot vers 17h, je roule 700 bornes sans m’arrêter jusqu’à Clisson - sinon pour faire un plein - me gare à 30 mn du fest, marche d’un bon pas, passe l’entrée et la Cathédrale et vais tout droit à la Valley. J’entre sous la tente, fais quelques pas et m’arrête soudainement en me demandant quel est le con qui a construit un mur en plein milieu d’une tente. Ce n’était bien entendu pas un mur mais un épais rideau de fumée rouge, doublé d’un incroyable mur du son, et c’était Sunn O))). Je ne peux pas dire que j’ai vraiment compris ce qu’il m’arrivait ce jour-là, mais la radicalité et la beauté du son m’ont sidéré.

( meilleur concert metal )

Je pourrais citer les concerts de Sunn 0))) en 2019 à l’Épicerie Moderne (et son public en position foetale, nous étions dans une acoustique amniotique et tourmentée) ou de Big | Brave au Périscope l’an passé (et ce son qui s’est cristallisé à l’état solide sur la scène, sculpté par des artisans du feedback), mais je retiendrai deux autres expériences.

Cela faisait plusieurs années que je « courais » après Meshuggah, à grand renfort d’écoutes au casque, sans succès. La bascule s’est faite au HF et surtout, quelques jours plus tard, en salle, au Transbordeur. J’ai eu physiquement et psychiquement l’impression que le groupe découpait mon cerveau et tous mes canaux d’appréciation de l’événement, à la manière cubiste, pour le recomposer autrement. C’était comme une expérience de sortie du corps. Une autre façon de penser le metal, la musique et, en définitive, le monde.

Lors du dernier Roadburn, enfin, le concert de Sumac jouant en intégralité son album The healer a été une expérience extraordinaire, me poussant à reconsidérer la notion de post-metal, ou à imaginer celle de post-death. Était-je dans des dispositions particulières ? Toujours est-il que j’avais l’impression de comprendre exactement pourquoi chaque note était jouée, alors même que la partition était complexe et que les morceaux subissaient sans cesse bifurcations et changements de rythme. Inoubliable. Tu t’en souviens, @Iko ?

( meilleur concert hors metal )

Lingua Ignota, Roadburn 2022.

Avec celui-là, il y a un avant et un après.

Dans la grande salle du festival, Kristin Hayter entre sur scène, seule dans sa robe verte vaporeuse. Le décor est minimaliste : une petite estrade flanquée de quatre néons verticaux, un piano qu’elle utilisera chichement, pas de musiciens mais des sons pré-enregistrés qu’elle lance manuellement, un écran géant diffusant des images tour à tour fiévreuses ou bucoliques. Le concert a été d’une telle puissance, d’une telle intensité, d’une telle générosité que je pense avoir ouvert grand la bouche au bout de trente secondes et l’avoir gardée ouverte trente minutes après le set, sans pouvoir quitter la salle ni bouger. Ma voisine, une inconnue, était dans le même état que moi. Depuis ce jour, les groupes composés de quatre barbus avec basse, guitare, batterie, gros son et paroles portant sur le Diable et les voyages intersidéraux ne sont (généralement) plus que de la roupie de sansonnet pour moi.

( anecdotes )

À 15 ans, j’ignore qu’un concert peut-être être sold-out et je me pointe au Palais des Sports de Lyon pour voir David Bowie sur la tournée Serious moonlight (celle de Let’s dance, mais il jouera quand-même Heroes, Life on Mars, Ashes to ashes, Space Oddity, Young Americans et tant d’autres ce soir-là). Évidemment, aucune place n’est en vente au guichet. Ne doutant de rien, je pousse une à une les portes de sorties de secours qui entourent l’enceinte et en trouve une qui s’ouvre ! Un oubli ? Une âme charitable ? Toujours est-il que j’ai pu voir David Bowie à 15 ans gratuitement.

En 2022, je me cale loin sur la pelouse pour le 1er concert de Metallica au HF, un groupe que je n’ai jamais vu en concert et que je connais assez peu. Je décide de rester pour 3 morceaux, histoire de voir (ou d’apercevoir) à quoi ça ressemble. Je suis à côté d’un type avec une tête de poulet électrocuté aux yeux exorbités, qui n’arrête pas de se tourner vers moi et de me regarder nerveusement, comme si j’étais bizarre (alors que pas du tout). Au bout d’un moment, je le regarde à mon tour et m’aperçois que c’est Bobby Liebling de Pentagram. Jamais compris pourquoi il me regardait comme ça.

Quelques minutes plus tard, le 3ème morceau de Metallica me dit vaguement quelque chose. J’attends la fin, je tape sur l’épaule de mon voisin et lui demande comment s’appelle le titre. Cinq ou six personnes se retournent vers moi, me regardent comme si j’étais le dernier des abrutis sur Terre et l’un d’eux condescend à me répondre du bout des lèvres : c’est Enter sandman, mec.
Ah.
Ok…

Allez, une petite dernière…

En 2009, j’achète 2 places pour aller voir Akron Family à l’Épicerie Moderne près de Lyon. Deux semaines avant, j’écoute un peu et je m’aperçois que je me suis trompé de groupe…, que j’avais confondu avec Songs : Ohia, le groupe de Jason Molina, probablement parce que la ville d’Akron est dans l’Ohio… (Ne me demandez pas comment fonctionne mon cerveau, je n’en ai aucune idée).

Bref, je traîne ma moitié, qui n’a pas envie d’être là, au concert, et là on se retrouve à quatre devant les portes, en compagnie d’une fille mutique qui ne regarde que ses pieds et d’un ado boutonneux et volubile qui parle comme un moulin et sautille sur place en évoquant le groupe. J’essaye d’éviter le regard de ma femme, de plus en plus furieuse. À l’arrivée, nous serons une petite quarantaine à assister à un concert extraordinaire d’indie folk et de rock psyché, où tous les morceaux s’enchaînent sans coupure ni temps mort, dans une espèce de transe fabuleuse. Toute la salle dansait et c’est l’un des meilleurs souvenirs musicaux de mon épouse (que serait-elle sans moi ?).

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