Pour répondre à pierro, en quelques lignes, mon expérience sous les drapeaux.
Mai 88 : j’ai 21 ans bien sonnés, mes 3 années d’études s’achèvent et toujours pas de convocation pour les 3 jours. Je vois bien le truc : pas d’armée, je me mets à bosser, et dans 2 ans ils se rendent comptent de l’oubli et viennent me chercher avec gendarmes et menottes sur mon lieu de travail . Je contacte donc les services ad hoc pour leur rappeler leur boulot :mad: : ça commence bien…
Juillet 88 : fraichement diplômé, j’ai reçu ma convocation et me présente matutinalement pour faire « mon jour des 3 jours ». Ayant assuré mes arrières avec quelques pistons stratégiquement et diversement placés, l’objectif est de réaliser le service le plus cool et le plus proche possible, et surtout éviter l’Allemagne (pour les plus jeunes, certains appelés faisaient leur service dans des casernes françaises en Allemagne, oui oui → wikipedia). Inimaginable en revanche de me faire réformer P4 8o 8o , ce qui me barrerait l’accès à la Fonction Publique Territoriale, alors que jeune infirmier, je souhaite au moins y débuter ma carrière (en hôpital).
2 appelés à la grille : « Suivez la ligne jaune par terre » 8) . Et ça tombe bien, il n’y en a qu’une, de ligne, donc même les daltoniens y arrivent. Mais pourquoi préciser la couleur alors ?.. « Les ordres »…
Je suis la ligne (jaune) : droite, gauche, gauche… elle longe les bâtiments par l’intérieur de la grande cour vide, et fait donc tout un détour pour s’arrêter devant une grosse porte… juste en face de l’entrée principale de la caserne !!! Je viens de faire 300m à longer les murs au lieu de faire 150 m en ligne droite !!! Il aurait suffit d’indiquer à l’accueil : « la grande porte juste en face, de l’autre côté de la cour » :rolleyes: . Les appelés avaient des consignes, et moi je commençais à avoir des doutes sur l’efficience militaire…
Là : rencontres avec d’autres jeunes (melting pot assez sympa), salle genre « classe de lycée », militaires qui nous vantent les valeurs de l’armée et nous enrobent ce qui nous attend… Entre doutes et esprit critique, je prends tout ça avec des pincettes.
Tests psychotechniques. Faciles : j’ai 20 sur 20. On est 6-8 dans le cas. Ils nous prennent à part «Vous avez eu 20, vous pouvez faire le peloton des officiers». «Non merci sans façons {) » (Jamais de la vie tu veux dire !!! Aller en chier 2 fois plus à Pétaouchnock alors que je voulais juste être infirmier tout près de ma tendre et chère, et puis quoi encore ?..)
Bref : finalement, visite médicale, apte, adjugé vendu.
Août 88 : je suis incorporé à la Base aérienne 133 Nancy Ochey (merci les pistons : Armée de l’air + 30 mn de chez moi, c’est vraiment pas mal…). Contingent 88/08, 90 appelés, environ 85 diplômés de l’enseignement supérieur… et la moitié de pistonnés (dont moi). J’ai pu constater par la suite que ce contingent était une exception annuelle… En avril, 200 appelés dont une quarantaine de DOM TOM frigorifiés, et 5 bacheliers. Mais à l’armée, et surtout parmi les appelés, ce ne sont pas les plus intelligents qui s’en sortent le mieux, ce sont les plus malins et les plus démerdes ] . Si tu comprends ça rapidement, ça te facilite la vie…
2 mois de classes avec le peloton des élèves gradés (histoire de finir par gagner un peu plus de sous, soit quasi 3 fois la solde de base en fait) : visite de la base, Mirages 3 E et quelques Fougas qui servaient de taxi aux pilotes (pour les plus jeunes → archives de l’Armée de l’air). Puis un peu de marche, d’ampoules, de sport, de pas cadencé, de tir, d’exercices militaires, de manœuvres avec des tentes qui prenaient le vent et des sacs de couchage dont la fermeture éclair était foutue, de levers en pleine nuit, de lit au carré et de petit doigt sur la couture du pantalon… Heureusement, la bouffe était bonne ! (très important)
On finit par nous confier que si on nous demande des choses connes ou incompréhensibles, c’est uniquement pour nous apprendre à obéir sans discuter, parce que si tout le monde commence à discuter les ordres en vrai, on n’en sort plus. Donc on exécute, et point. Le résultat, on s’en fout, on n’est qu’un maillon.
On nous explique aussi que nos fameux Mirages 3 E ont pour objectif d’aller bombarder les sites radar en Allemagne de l’Est (pour les plus jeunes → wikipedia) mais ne peuvent pas revenir, n’ayant pas assez d’autonomie et n’étant pas ravitaillables en vol ! Donc les pilotes tentent de rallier l’Allemagne de l’ouest (–> wikipedia) ou s’éjectent et se démerdent. C’est pas vraiment le glamour de Tanguy et Laverdure en fait…
Plein de rencontres sympas pendant mes classes… Nous sommes à peu près finauds, nous avons vite compris que moins on ferait de vagues + mieux on obéirait = moins ils nous feraient chier. Et ce fut le cas. Il faut aussi reconnaitre qu’on n’est pas tombé sur des engagés buttés et va-t-en-guerre : ça reste l’Armée de l’air, pas franchement des combattants les mecs. Aller faire des manœuvres à Solenzara (–> wiki) ok, mais en Afrique, pas trop !
Après mes 2 mois, me voilà affecté au… service administratif ! :o Incompréhension. Sauf qu’à l’armée, le Service médical dépend du Service administratif (on ne voit ça qu’à l’armée). Et donc 10 mois à l’infirmerie de la base, en salle de soins. Je fais à peu près mon boulot sous la « responsabilité » d’un engagé moins diplômé que moi et incompétent, qui passe juste dire gentiment «Bonjour» le matin. On ne m’emmerde pas, et même on me respecte un petit peu parce que, comme je viens de le dire, j’ai un diplôme supérieur à celui des infirmiers militaires. Surtout, l’infirmier major (le seul compétent), sachant qu’il est entouré de sous-off nuls à chier (du style à dessiner un cœur en coupe avec les valves qui s’ouvrent dans le mauvais sens !!! Oui oui !!!), protège les infirmiers D.E. (=civils), ces appelés qu’il arrive à avoir avec lui chaque année pour pallier aux manques de son propre personnel. Tip top.
Et c’est là que j’ai pu voir s’afficher les fainéants, les tire-au-cul, les incompétents, parfois les petits chefs payés par l’Etat, qui passaient leurs frustrations sur les appelés et abusaient de leur peu de pouvoir. Je rejoins pierro : les appelés étaient les esclaves des engagés. Ménage, lessive, rangement, et tout le boulot du service : tout ça c’était pour les appelés !
Au service médical, ce n’était pas des méchants, loin de là. Mais tout de même. Aux guichets : uniquement des appelés qui géraient tous les dossiers, et 3 engagés à leur bureau, derrière, qui validaient. En salle de soins, un engagé, gentil, mais invisible (et tant mieux). Aux stocks, deux engagés qui bossaient 1 jour par trimestre (ils allaient chercher la grosse commande à Saint Dizier : départ avec une ambulance le matin, repas au mess sur place, chargement et retour). L’un des engagés avait même amené son ordi perso à son bureau pour jouer (attention, en 88, c’était minimaliste les jeux sur ordi…)
Côté médecins, pareil, le boulot fait par les aspirants, un médecin chef qui passait plus de temps à faire du sport que de la médecine, un autre médecin incompétent, et un dernier qui, lui, était bien.
Moi, on ne m’emmerdait pas, je rentrais chez moi tous les soirs, pour les gardes de Week-end j’avais une chambre perso d’infirmier, et je passais les manœuvres dans l’ambulance, à dormir sur les brancards .
Un jour tout cela a pris fin. En juillet 1989, je retrouve la vie civile :lol: , le CHU de Nancy … et toutes mes copines de promo qui avaient un an d’ancienneté ! Moi, j’étais le bleu. Un an entre parenthèses, à être le témoin des aberrations, absurdités et défaillances de l’Armée. Heureusement, j’y ai vu plein d’avions de chasse 8) , et ai rencontré des appelés (mais aussi des engagés) super sympas dont je conserve le souvenir 30 ans après.
Mais supprimer la conscription et imposer la professionnalisation était vraiment la meilleure chose à faire pour l’armée. Pour les jeunes, c’est moins sûr, mais à la fin, qu’y trouvaient-ils encore, au service militaire ?.. Cela est un autre débat…