BOURLON - Jour 3 /// ITHAQUE
Journée « Valley », un peu plus compliquée pour moi tant ce genre me semble avoir du mal à se renouveler. Et comme je conduis je n’ai même pas l’échappatoire facile de l’alcool pour croire aimer certains groupes. Le soleil tape fort, on en a eu notre dose au Hellfest, c’est le rayon de trop.
La journée un peu mal engagée s’améliorera pourtant progressivement avec un bel enchaînement Wormsand / Five the Hierophant (toujours fascinant) / Karkara (très belle découverte, proche de Slift mais avec plus de simplicité) / Midnight Ghost Train (son un peu plus brouillon qu’au Hellfest mais le morceau final fut fort en émotions, j’y reviendrai). Petit moment punk / stoner / crossover avec Zig Zag qui met une belle ambiance avant le grand final sur My Sleeping Karma.
S’attacher aux instants : Midnight Ghost Train entame à l’acoustique « Everybody Gotta Live » d’Arthur Lee, après un discours simple mais fort sur les temps que nous traversons. Soudain une magie, devant la barrière comme un moment de paix suspendu chaque membre de la sécu reçoit une bière, au soleil couchant les gerbes d’eau iridescentes des pulvérisateurs de jardin semblent retomber mollement comme un fantasme californien, un mamie est au bout de cette perspective, assise en robe du dimanche rose bonbon, côté photographes, elle semble elle aussi prise dans ce rêve, étourdie et souriante. Vous connaissez ces moments qu’on voudrait retenir, tout à la fois fugaces et éternels, qui vous serrent la gorge. Je crois que c’était un de ces instants proustien que j’ai vécu, avec en plus de l’impression psychologique une perfection photographique enrichie des ressources de l’imaginaire et du souvenir. Lorsque cet instant s’est finalement échappé, mon ami de la sécu m’a serré dans ces bras et comme un bon génie, avec un grand sourire, m’a dit « c’est ça Bourlon ».
Plus tard, nous restons en arrière de la régie, un dernier verre entre amis, My Sleeping Karma délivre un concert parfait, au-dessus les premières étoiles, tout autour ces maisons de briques aux volets clos, je me demande si les gens qui vivent-là nous veulent du bien, on sait ce qu’il y a au-delà de ces grilles, on sait qu’il y a quelque chose d’illusoire à penser que ce que nous vivons là puisse peser d’une quelconque manière dans l’équilibre des forces, mais on veut y croire et s’accrocher à ces instants comme si tous ces discours de tolérance accumulés pendant trois jours allaient irradier de nos corps en dehors du festival. On sait qu’il n’y a probablement aucun sens à parler de communauté tant les gens qui sont ici sont différents, mais en ce soir tiède de début d’été, en écoutant la musique de My Sleeping Karma nous envelopper, on se sent réchauffé de l’autre, de celui qui sourit comme de celui qui titube, et on a juste peur de ce moment qui arrive où tous ces inconnus vont partir. C’est plutôt l’instant Thomas Mann.
Le concert se termine, inexorablement, je crois qu’à divers degrés les cinq réunis côte à côte nous avons laissé échappé des larmes.
Je suis rentré le lendemain, ma compagne m’a raconté qu’elle s’était frittée avec un type qui l’avait doublée à 120km/h sur la route de l’école, que des boomers en doudoune avaient laissé leur caca dans les toilettes et des poubelles improbables dans leur chambre après avoir épuisé toute l’équipe de leurs remarques désagréables, la loi Duplomb est validée, j’ouvre la page du Monde, les morts me sautent à la figure. Je ne sais pas si je vais irradier suffisamment.