FOCUS
ALESTORM

De l'Art de la Flibusterie Sonore et Éthylique
L'Appel du Large (et du Houblon)
Aaaaaaaah le "Pirate Metal" ! On se demande si c’est du génie ou une vaste blague. Avouons-le : qui n’a jamais rêvé de tout plaquer pour devenir un pirate, ou à défaut, de hurler des refrains à boire en levant le poing une chopine de bière à la main ?
Alestorm, c’est ça. C’est ce groupe qui, depuis deux décennies, navigue à contre-courant, défiant les lois du bon goût. Ils ont transformé une blague de pub écossais en une vraie carrière musicale, remplissant des salles et faisant bouger des foules entières sur des airs d’accordéon synthétique. Alors, embarquons pour un voyage sur les mers déchaînées, en essayant de garder le cap, à travers l’histoire tumultueuse de ces écossais qui ont décidé que le metal, c’était avant tout une fête. “Yo-ho yo-ho, a pirate’s life for me !”
Chantier Naval
De Battleheart à la Tempête de Bière
Tout commence bien loin des Caraïbes, dans la grisaille humide de Perth, en Écosse. Nous sommes en 2004. Deux jeunes musiciens, Christopher Bowes et Gavin Harper décident de former un projet studio. Pas encore de grande ambition, pas de tournée mondiale, juste l'envie de faire de la musique. Ils baptisent leur bébé Battleheart. Le nom sonne comme un mauvais groupe de Power Metal allemand des années 90, mais l'intention est là.
À l'époque, le concept est simple : du "Epic Metal" avec des chansons sur les pirates. Ils n'avaient aucune idée de ce qu'ils faisaient, comme ils l'admettent eux-mêmes. Mais le succès de leur titre Heavy Pirates Metal les convainc d’adopter définitivement cette thématique "pirates". En 2006, le duo, qui s'est étoffé pour devenir un vrai groupe (parce que jouer du metal à deux, c'est triste, et techniquement compliqué pour les concerts), enregistre deux démos/EPs : Battleheart et Terror on the High Seas. La qualité est disons..., discutable, mais l'idée est déjà là. Les titres comme Heavy Metal Pirates ou Nancy the Tavern Wench posent déjà les bases : des mélodies folk entraînantes jouées au clavier (le fameux keytar n'est pas loin), des guitares qui essaient d'être méchantes sans y arriver vraiment, et… la voix de Christopher Bowes. Un accent écossais à couper au sabre d’abordage et autant de fausses notes que de doublons dans un coffre enterré sur l'île du Singe.
La Signature et le Baptême du Feu
Le destin frappe à la porte (ou à la coque) en 2007. Napalm Records, label autrichien réputé pour son flair (et son amour des groupes à thèmes), tombe sur ces démos. Probablement séduits par l'originalité du propos – ou peut-être avaient-ils juste besoin d'un groupe pour remplir un créneau "folk festif" – ils signent le groupe.
Mais il y a un problème. Battleheart, ça ne va pas. C'est trop générique. Il faut un nom qui claque, un nom qui évoque l'alcool et un naufrage en pleine mer. Ce sera Alestorm. Un jeu de mots subtil (non) entre "Ale" (la bière) et "Storm" (la tempête). Le 8 août 2007, Battleheart meurt, et Alestorm naît officiellement. Le navire est lancé.
L'Inventaire de la Cale (Discographie)
Avant de plonger dans le détail de chaque escale, jetons un œil au livre de bord pour voir ce que nos flibustiers ont amassé comme butin musical au fil des ans. La discographie d’Alestorm c’est :
- 6 Démos ou EP
- 8 Albums studios
- 2 Albums Live
Journal de Bord
Naviguons maintenant à travers les âges, album par album, pour voir comment ce frêle esquif écossais est devenu un galion de guerre (ou un paquebot de croisière pour metalleux en vacances, c'est selon).
2008 : Captain Morgan's Revenge – La Révélation
Le 25 janvier 2008, le premier boulet de canon est tiré. Captain Morgan's Revenge sort chez Napalm Records. Musicalement, on est dans du Power Metal assez classique, mais saupoudré de folk et de claviers qui font "pouet pouet". C'est épique, c'est grandiose. Le titre éponyme est une fresque historique (enfin, presque) qui raconte la vengeance du célèbre pirate.
On y trouve Over the Seas, une invitation au voyage qui donne envie de quitter son bureau pour aller récurer le pont d'un vieux rafiot. Bowes a cette gouaille de vieux loup de mer qui fait mouche. Nancy the Tavern Wench devient instantanément l'hymne des fins de soirée des vieux rades de Tortuga, où des vieux marins assoiffés chantent en chœur avec Bowes, haranguant la foule tel un aventurier racontant ses aventures au coin du bar.
Le public est partagé : certains crient au génie (bon pas trop quand même) mais le "True Scottish Pirate Metal" est né, d'autres crient à la blague qui ne durera pas un an. Ils avaient tort.
2009 : Black Sails at Midnight – La Confirmation (et l'Accélération)
Un an plus tard, Alestorm revient avec Black Sails at Midnight. On prend les mêmes et on recommence, mais en mieux (ou en tout cas, en plus fort).
L'album s'ouvre sur The Quest, une déclaration d'intention. Mais c'est surtout Keelhauled qui marque les esprits. Un morceau rapide, violent, avec un refrain qui vous attrape par le col et vous secoue jusqu'à ce que vous chantiez avec eux. C'est le morceau qui définit le style Alestorm pour les années à venir : rythme effréné, claviers omniprésents, et paroles joyeuses sur la torture maritime.
C'est aussi l'époque des premiers changements de line-up. Ian Wilson, le batteur, s'en va, remplacé par Peter Alcorn (qui deviendra une pièce maîtresse de la machine). Le groupe tourne énormément, écumant les festivals comme des vikings... heu, des pirates, en maraude.
2011 : Back Through Time – Le Délire Temporel
En 2011, Alestorm décide que l'histoire, c'est chiant. Pourquoi se limiter au XVIIIe siècle quand on peut voyager dans le temps ? Back Through Time assume totalement le côté "n'importe quoi" du groupe. La pochette montre des pirates combattant des vikings (probablement une manière de dire "Coucou Amon Amarth, on arrive").
Musicalement, c'est l'arrivée d'Elliot Vernon aux claviers, qui va progressivement prendre de l'importance, notamment avec ses capacités vocales (le scream). Des titres comme Shipwrecked ou Midget Saw (oui, "La Scie du Nain" ou "La Scie Naine", ne posez pas de questions) montrent que l'humour devient central. Le groupe glisse vers la parodie de lui-même, mais c'est tellement bien fait qu'on pardonne tout.
2014 : Sunset on the Golden Age – L'Âge d'Or du Grand N'importe Quoi
Trois ans plus tard, Alestorm sort ce qui est peut-être son chef-d'œuvre (dans son genre très particulier) : Sunset on the Golden Age. C'est l'album de la maturité ? Non, absolument pas, cet équipage d’écossais reste de grands gamins. C'est l'album de la démesure.
Le tube Drink est là. Un hymne universel à la consommation d'alcool qui a probablement causé plus de cirrhoses que n'importe quelle publicité. "We are here to drink your beer !" scande la foule. C'est simple, c'est basique, c'est génial.
Mais l'album contient aussi des pépites plus complexes, comme 1741 (The Battle of Cartagena), un morceau épique de plus de 7 minutes avec des influences 8-bit (sûrement tirées de la géniale saga des "Monkey Island") et des chœurs grandioses. Et bien sûr, Wooden Leg, le début d'une saga légendaire sur les prothèses en bois.
C'est à ce moment-là que le groupe commence vraiment à intégrer des éléments électroniques, des bruits de jeux vidéo, et à s'éloigner du pur folk metal pour créer son propre monstre hybride.
2017 : No Grave But the Sea – Des Chiens et des Ancres
2017 marque un tournant... canin. No Grave But the Sea est un excellent album, avec des titres comme Mexico (un banger absolu qui mélange mélodie de jeu vidéo et metal) ou Fucked with an Anchor (une chanson d'une poésie rare, entièrement dédiée à l'art d'insulter son prochain).
Mais l'histoire retiendra surtout l'édition Deluxe de cet album : No Grave But the Sea for Dogs. Le groupe a eu l'idée (de génie ou de stupide, la frontière est fine) de remplacer TOUTES les lignes de chant par des aboiements de chiens. Oui, tout l'album. Et ils l'ont vendu. Et les gens l'ont acheté.
2020 : Curse of the Crystal Coconut – La Pandémie n'arrête pas la Piraterie
Alors que le monde est confiné, Alestorm sort Curse of the Crystal Coconut. Le titre est une référence obscure à la série animée Donkey Kong Country (parce que pourquoi pas ?). L'album pousse les curseurs de la folie encore plus loin.
Tortuga est un choc : un morceau qui mélange pirate metal et... rap/nu-metal, avec un featuring du Captain Yarrface du groupe Rumahoy. On y trouve aussi Wooden Leg Part 2 (The Woodening), une suite symphonique et dramatique qui prouve que le groupe peut raconter des histoires tristes sur des sujets ridicules.
2022 : Seventh Rum of a Seventh Rum – Retour aux Sources (de Rhum)
Le titre est un hommage (ou un plagiat éhonté et assumé) à l'album Seventh Son of a Seventh Son d'Iron Maiden. Sorti en 2022, cet album semble vouloir calmer un peu le jeu des expérimentations bizarres pour revenir à ce que le groupe fait de mieux : des hymnes à boire.
P.A.R.T.Y. est le tube de l'album, une chanson disco-metal irrésistible. Magellan's Expedition rappelle les grandes heures épiques du premier album.
2025 : The Thunderfist Chronicles – L'Ultime Frontière?
Et nous voici en juin 2025. Le huitième album, The Thunderfist Chronicles, débarque dans les bacs (enfin, sur les serveurs de streaming). C'est l'album de la consécration, ou du moins, c'est ce qu'ils essaient de nous faire croire.
L'album contient des pépites comme Frozen Piss 2 (la suite tant attendue d'un morceau obscur ? Non, juste une blague de plus), Banana (un morceau qui intègre des sons 8-bit dubstep, parce que pourquoi pas ?), et surtout Mega-Supreme Treasure of the Eternal Thunderfist. Ce dernier est un morceau de 17 minutes ! Oui, 17 minutes. Une épopée progressive qui invite Russell Allen (Symphony X) et Patty Gurdy. C'est un monument de n'importe quoi épique, une prière à Davy Jones.
Beaucoup se disent définitivement que VRAIMENT la blague a assez duré. Mais le groupe s'en moque. Ils continuent de remplir les salles et de vendre des t-shirts avec des canards. Killed to Death by Piracy est un autre titre phare, rapide, efficace, un retour aux sources thrashy. C'est un album qui prouve qu'Alestorm a encore de l'énergie à revendre, même après 20 ans de carrière.
L'Équipage – Line-up Actuel (2025)
Un navire n'est rien sans son équipage, une bande de joyeux drilles qui semblent s'être trouvés par miracle (ou par l'odeur de la bière).
- Christopher Bowes (Chant, Keytar) : Le Capitaine. L'âme (et le foie) du groupe. Toujours vêtu de son kilt, armé de son keytar (cet instrument bâtard entre le clavier et la guitare, summum du kitsch). Sa voix est éraillée, parfois fausse, mais elle a une puissance et une authenticité qui emportent tout. Il est aussi le cerveau derrière la musique (et les conneries).
- Gareth Murdock (Basse) : Le fidèle Lieutenant. Présent depuis 2008, c'est le pilier rythmique. Il est grand, il a souvent l'air de se demander ce qu'il fait là au milieu de ce cirque, mais il assure. Il a ce flegme britannique (bien qu'il soit Irlandais) qui tranche avec l'hystérie ambiante.
- Máté Bodor (Guitare) : Le Mercenaire Virtuose. Arrivé en 2015, ce Hongrois a apporté une touche de technicité bienvenue. Ses solos sont propres, rapides, "shreddy".
- Peter Alcorn (Batterie) : La Salle des Machines. Un batteur métronomique qui frappe fort.
- Elliot Vernon (Claviers, Chant Scream) : Le Sorcier. Il s'occupe des orchestrations symphoniques (souvent sur bande, ne nous mentons pas) et surtout, il apporte cette deuxième voix hurlée ("scream") qui donne le côté agressif à Alestorm. Il est le "Yang" sombre du "Yin" festif de Bowes.
Légendes de la Mer – Anecdotes et Histoires de Comptoir
Le Canard Géant (The Giant Rubber Duck) : Si vous allez à un concert d'Alestorm, vous verrez trôner sur scène un immense canard jaune en plastique gonflable. D'où vient-il? D'une rivalité amicale avec le groupe Sabaton. Sabaton a un tank sur scène. Alestorm voulait quelque chose d'aussi impressionnant, mais de totalement ridicule pour "casser" l'ambiance guerrière. Christopher Bowes a donc décidé : "Il nous faut un canard géant". Depuis, le canard est devenu le sixième membre du groupe. Il a même un nom dans certaines légendes urbaines. Parfois, il est jeté dans la foule pour un slam épique. C'est absurde, c'est gratuit, c'est indispensable.
Amoureux des zèbres : Le rider est un document transmis par l'entourage d'un groupe de musique à la salle de spectacle qui l'accueille et qui liste toutes les exigences et besoins techniques à satisfaire lors d'un concert. Selon certaines sources, Alestorm demanderait dans sa loge trois photos de leurs zèbres préférés. Ne cherchez pas à savoir pourquoi.
La Malédiction de la Jambe de Bois : La chanson Wooden Leg sur l'album Sunset on the Golden Age était une chanson stupide sur un pirate qui a une jambe de bois. Mais Bowes a décidé d'en faire une trilogie épique. Wooden Leg Part 2 (The Woodening) et Wooden Leg Part 3 racontent une histoire tragique à travers les âges, impliquant des membres en bois japonais, espagnols, et une tristesse existentielle.
"Pourquoi on aime?" – Le Chant des Sirènes
- L'Efficacité Mélodique : Ne nous y trompons pas, derrière le "pouet pouet", il y a un sens de la mélodie imparable. Les refrains sont des virus. Ils rentrent dans la tête et n'en sortent plus. C'est de la pop déguisée en metal. C'est sucré, c'est catchy, c'est aussi enivrant qu’un verre de rhum frelaté.
- L'Énergie Positive (La Bamboche, c'est pas terminé) : Un concert d'Alestorm, c'est une fête. Pas de violence, pas de colère noire. Juste la joie d'être ensemble, de sauter partout, de faire des "rowing pits" (s'asseoir par terre et ramer comme sur une galère). C'est libérateur. On laisse son cerveau au vestiaire et on profite.
- L'Authenticité dans la Bêtise : Ils ne trichent pas sur qui ils sont. Ils savent qu'ils font de la musique stupide, et ils l'assument à 100%.
- La Technique Cachée : Je suis toujours surpris par ces groupes qui font les choses sérieusement mais qui semblent ne pas se prendre au sérieux tout en assurant techniquement. Máté Bodor est un excellent guitariste, et Peter Alcorn est une machine. Ils jouent vite, ils jouent bien, même quand ils sont (évidemment) ivres.
"Pourquoi on peut détester?" – Le Mal de Mer
- La Répétitivité (Le Tournis) : "C'est toujours la même chose". Oui. La recette est immuable : couplet rapide, refrain hymne, solo de clavier, refrain, fin. Si vous n'aimez pas le premier album, vous n'aimerez pas le huitième.
- L'Humour "Pipi-Caca" (La Lourdeur) : Il faut avoir gardé une âme d'enfant ou d'adolescent attardé pour rire à Frozen Piss ou Fucked with an Anchor. Si vous cherchez de la poésie ou de la finesse, passez votre chemin. C'est gras, c'est lourd, c'est parfois gênant.
- Le Pouet Pouet : Les binious, cornemuses et accordéons joués au synthétiseur, c’est quand même pas de la grande musique.
Le Port d'Attache
Au final, Alestorm est un groupe nécessaire. Comme une bonne biture entre amis, c'est excessif, ça fait un peu mal à la tête le lendemain, mais ça crée des souvenirs impérissables. Ils ont réussi le pari fou de faire d'un genre de niche (le Pirate Metal) un phénomène mondial.
Alors, que vous soyez un vieux loup de mer aigri qui regrette le temps où le metal était "sérieux", ou un jeune moussaillon prêt à en découdre dans le pit, une chose est sûre : quand Alestorm débarque, la tempête n'est jamais loin. Ce n’est pas de la poésie, ce n’est pas de la grande musique mais entre vous et moi, à force, j’ai une certaine affection coupable pour ces idiots en kilt.
Allez, santé ! Et n'oubliez pas : "Rum, Beer, Quests and Mead !"
MainStage 2
Artiste présent en 2026