Tour à tour aride, verdoyante, brûlante, glaciale, sublime, monotone, étrange et hostile, la Valley de Clisson rappelle la Vallée de la Mort, cette terre mythique du Grand Désert Mojave.
En voici quelques points remarquables :
Wormsand - Digging deep
Ce morceau, pourrait être Badwater Basin, qui est le point le plus bas de la Vallée de la Mort. Mais pourquoi le rabaisser, lui qui gît déjà à 86 m en-dessous du niveau de l’amer ? Tout ne fait pas marée. Même la mer morte est pleine de vie.
Des voix qui dialoguent (l’une est d’outretombe, l’autre doute est longue). Une atmosphère de pesanteur, de lourdeur et d’angoisse. Un climat oppressant.
Des coups de semonce à 2’03, comme une salve de fusil qui écourte la vie. Écoutez, au tout début du morceau, ces voix qui semblent revenir du passé, se remémorer, et palabrer. Une vieille voix de radio - radiographie en veille et mise en voix. Wormsand, c’est Burned Wagons Camp, ce bivouac (et Monument National) que les premiers pionniers qui traversèrent la Vallée de la Mort laissèrent derrière eux - abandonnant l’un des leurs et transformant leurs montures en viande séchée.
Je le redis : On achève bien les chevaux, et le rêve américain - ce steak de bison, d’esclaves et d’indigènes si saignant - a comme un goût de contrefaçon et de viande équine. Allez vous remettre en selle après cela !
Slomosa - Red thundra
Le jour où l’on exilera sur une planète lointaine ceux qui ne succombent pas au charme de Slomosa, je connaîtrai la vraie solitude des astres. Désastre ? Non, pas sur ce morceau ludique.
Une partie à deux. Quelque chose de joueur, comme une balle que l’on se renvoie (Not me, not you chanté par Marie Moe / not you, not me interprété par Benjamin Berdous) mais dans un environnement sec, aride, où le mot stoner renvoie moins à un narcotique qu’à quelque chose de minéral, à un environnement rugueux et abrasif. Ce morceau mid-tempo, un peu plus lent, un peu plus lourd que d’autres - du Slo(w)mosa ? - me déplaît moins que certains. Slomosa, c’est donc The Devil’s Golf Course, ce plateau de sel et de boue séchée, cette toundra dans de mauvais draps où seul le Diable, paraît-il, peut tenter le par. Est-ce cela qu’on appelle le par du Diable ?
Monkey3 - Ignition
Vous êtes-vous déjà promené(e) dans une ville-fantôme ?
Moi non plus.
Ou alors en 1981, quand je signais mon premier bail, que j’étais jeune et beau et que j’écoutais The Specials, alors que maintenant je jeûne et je baille, que je n’ai rien de spécial et que j’écoute Jarboe.
Mais mon fantôme s’est déjà promené dans une ville réelle. J’y faisais pâle figure, je crois. C’était il y a longtemps : une longue ère rance.
Monkey3, que j’ai vu deux fois en fest, m’a toujours laissé à la frontière de l’intérêt et de l’ennui, avec nul visa sur mon passeport : aucun cachet pour moi. Ou d’aspirine. Si pâle : une zone intermédiaire, un entre-deux. Comme une longue promenade hésitante dans un paysage désolé - des rues vidées de vie et de rût - des échoppes où quelque chose vous échappe et où rien ne vous choppe - une vacance, une absence, une cavalcade des sens (interdits).
Ignition (allumage) est pour moi un pétard mouillé, une aquarelle (un à quoi bon), un voyage vers l’eau sépia et non vers l’opiacé. Entendez bien : je ne critique pas Monkey3. Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire la grimace. Ce n’est simplement pas pour moi.
Monkey3, c’est Rhyolite, ville fantôme de la Vallée de la Mort. Et je n’en ai pas la carte.
Kylesa - Unknown awareness
Une déflagration… Un phénomène éruptif comme l’est ce morceau, et comme le fut l’annonce que le groupe fit de son retour.
Ce titre, si on l’écoute bien, c’est du metal, c’est du sludge un peu léger, mais c’est aussi une valse. Ça tourne, comme sur un tour de potier. Et ce qui prend forme ressemble à une caldera, à un cratère, à ce dans quoi la terre bouillonne.
Une intro à la batterie, un sismographe qui perd son inertie. Rythme lourd, guitare aérienne : qu’il ait ceci ou Kylesa, le groupe mord comme un python de la fournaise. Rien de particulièrement original dans ce morceau (de magma), mais une ambiance tellurique, où la lourdeur du titre emporte ce dernier dans un puits sans fond. Dans l’espace, ce serait un trou noir. Ici, un maelstrom sonore et une… unknown awareness, une sensibilisation à l’inconnu qui fait aimer ce groupe comme un vulcanologue aime les nuées : de manière ardente.
Kylesa, c’est un séisme de magnitude non négligeable, c’est le cratère d’Ubehebe, creusé par une éruption ancienne (entre 2 000 et 7 000 ans pour le volcan, entre 2002 et 2015 pour la discographie du groupe). Que je suis triste de ne pouvoir les voir (ni au HF, ni au Roadburn) !
Dirty Sound Magnet - Mr. Robert
Ce pourrait être Zabriskie Point et son nuancier de couleurs, ou le Mont Whitney, point culminant de la Vallée de la Mort - à 4 421 m d’altitude - comme M. Robert sera le point saillant de cette battle. Mais ce seront finalement les extraordinaires pierres mouvantes qui creuseront leur sillon dans ce paragraphe.
Certains groupes évoquent le passé. D’autres le ressuscitent. Le mort-vivant est plus vivant que mort, et le voilà qui s’apprête à faire la fête. Ce merveilleux blues psychédélique dédié - comme @SAMM l’a déjà dit - au bluesman Robert Johnson, est à la croisée des âges comme Jonhson fut à la croisée des chemins. De son propre sang, on voudrait signer n’importe quel parchemin pour pouvoir écrire ce classique instantané. Là où certains y ont posé des choeurs, d’autres y ont laissé leur coeur - et avec les doigts : on est en 2025 et à défaut d’une raison sociale, on a les réseaux sociaux. (C’était le moment guimauve de luxe - ou Guy Lux en mauve - qui est d’ailleurs l’une des couleurs du Diable : on revient toujours à ce bon vieux Johnson qui vendit son âme pour trois accords et un corps… accord : il aimait les femmes disait-on).
Quant à la voix de Stavros Dzodzos sur ce morceau, elle est suffisamment dirty (cochonne), sound (profonde) et magnet (magnétisante) pour en faire un nouveau suppôt(tran)sitoire - ou suppositoire de Satan. Serre les fesses, mon ami(e) - ou pas. Car ce qui Satan (s’attend), c’est aussi ce qui se désire.
Mr. Robert et ses arpèges, ses glissements de terrain, ses psyché délices et ses sillons seront donc… les extraordinaires pierres mouvantes (sailing stones) de Death Valley, phénomène bien réel que les scientifiques n’expliquent que de manière théorique et qui serait dû à un mélange de sol argileux, de gelée nocturne, de vent, de réchauffement et de déclivité. Ou, comment faire bouger un roc et comment faire bouger le rock, sont un même Combat (rock). (*)
(*) Oui, The Clash.
PS : j’ai eu la chance de voir Dirty Sound Magnet en fest en 2023, et j’avais été émerveillé par la flamboyance du chanteur et par l’assurance et l’inventivité du groupe. C’est le Cream de la crème - et de véritables Bitch Boys.
Ci-dessous, une photo de pierres mouvantes.
My Sleeping Karma - Akasha
My Sleeping Karma, c’est Furnace Creek, où fut enregistrée la plus haute température jamais mesurée sur Terre : 56,7°c. Le morceau s’étire comme une longue, bien trop longue journée dans le désert. La longueur devient langueur. Une réverbération miroite, dans le son comme à l’horizon. Le synthé est un mirage qui nous fait entendre un sifflement Morriconien. On a l’impression d’être dans un four et de se laisser cuire à petit feu. On s’abandonne. On abandonne. Un buisson de tumbleweed (l’herbe qui tourne) passe sous nos yeux ; comme un rio asséché, un motif de guitare serpente dans la chanson ; mais il fait trop chaud pour y prêter attention. Eastwood, Bronson et Fonda laissent tomber le gilet de cuir, arrachent leurs santiags et s’allongent près de la piscine d’un motel désaffecté, avec un mojito à la main. Cow-boys déconstruits, pistolet en berne, pistaches sous la main. Le temps s’étire et rien ne se passe. Certes, la rondeur de la basse évoque celles de Claudia Cardinale, et ses rebonds les humeurs latines de la belle dans Il était une fois dans l’ouest - mais l’encéphalogramme est plat. Clint ronfle, Charles se tartine de crème solaire indice 50 et Peter médite sur le concept de Sleeping Karma. C’est à dormir debout, et c’est pas sûr que Sergio Leone en fasse un film. Jodorowsky, peut-être ?
Mars Red Sky - Crazy Earth
Pas facile de survivre dans le désert. Et pas facile non plus, pour un groupe français, de tracer son chemin, de creuser sa propre piste dans l’écosystème mondial. Ou, pour la voix fluette de Julien Pras, de parvenir à exister dans le mix d’une musique puissante et lyrique. Oui, la terre peut sembler folle et les milieux extrêmes (Crazy earth). Mars Red Sky sera donc le cyprinodon, ce poisson qui mène une courte et courageuse vie dans les mares boueuses, chaudes et salines de la Vallée, et donne à son espèce une descendance et plus : un éternel recommencement. (*)
(*) C’est le titre de l’avant-dernier album de Mars Red Sky.
Orange Goblin - Acid trial
Le riff annonce du rififi. Règlement de compte à O.G. Coral ?
Ce groupe, que j’ai vu deux fois en fest (notamment lors du « concert mythique pendant Metallica » au HF) et que je reverrai cet été pour sa tournée d’adieu, me laisse… plutôt indifférent. Un vrai désert de sentiments.
Je trouve sa musique convenue, ses paroles banales, et la mélodie vocale est ici d’une affligeante simplicité. Le solo ne jaillit pas : un vieux serpent qui n’a plus la force de se projeter. Le Goblin a beau débouler dans les soirées de fest tel une crue du désert nourrie par les pluies d’été, ou se déplier et mordre comme le crotale cornu - ce monstre hideux qui paraît sortir du bestiaire de l’Enfer et qui peuple Death Valley - Acid trial, choisi pour cette battle, n’échappe pas à la règle tant son venin est dilué. Nothing is real, dit le refrain. Pas même la férocité du Goblin, qui se pèle comme une Orange dans la froideur de la nuit. Déçu par ce désert (dessert) glacé - et mauvais trip avec les tripes à l’air.
Howard - I hear a sound
Il fait le beau, gonfle ses plumes, accélère, zigzague, accélère encore puis s’arrête à l’affût d’un bruit ou de l’appel d’un de ses frères : I hear a sound.
Howard, c’est le Grand Géocoucou du désert, cet oiseau coureur du Nevada, dont l’individu le plus connu est probablement le Bip Bip de la Warner, qui essaie de tirer son épingle du jeu dans un environnement hostile où tout est plus fort, plus grand et plus vaste que lui (sauf Vil Coyote).
Morceau un peu longuet pour ce qu’il propose (du Elvis retro-futuriste - faisons comme si ça existait - ou du Cramps - lassive attitude et lassitude - qui tirerait un peu trop longtemps sa crampe : le lit, la fille, l’attention fatiguent : on peut dire que ce Howard bawarde un peu. Une voix gothique, une voix de crypte, de dévot : plus Howard Devoto (*) que Music Howard (Music Award).
(*) Howard Devoto, chanteur des Buzzcocks et de Magazine.
9 pts - DIRTY SOUND MAGNET - Mr. Robert
8 pts - KYLESA - Unknown awareness
7 pts - MARS RED SKY - Crazy earth
6 pts - SLOMOSA - Red thundra
5 pts - MY SLEEPING KARMA - Akasha
4 pts - ORANGE GOBLIN - Acid trial
3 pts - MONKEY3 - Ignition
2 pts - HOWARD - I hear a sound
1 pt - WORMSAND - Digging deep
La Valley fut, lors de mes sept HF, mon oasis (comprendre : là où j’achetais et buvais ma bière), ma scène de prédilection, celle du Jugement Dernier (du meilleur concert du fest’) - et aussi la cène, celle de mon dernier repas.
C’était ma tente par alliance.
Aujourd’hui je m’en suis éloigné, mais je n’oublie pas à quel point elle fut verte, ma vallée.
(Cette feuille de vote vous a été présentée par la CLISSON VALLEY TOURIST OFFICE
).
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(Communiqué du Président Donald J. Trump.)
A noter qu’à compter du 01/07/25, la CLISSON VALLEY, ainsi que les zones géographiques suivantes - GAZA VALLEY, DONBASS VALLEY et GROENLAND VALLEY - seront transformées en PARC$ D’ATTRACTION$ et ZONE$ TOURI$TIQUE$ PROTÉGÉE$ A FORTE VALEUR AJOUTÉE ®️. RÉ$ERVEZ VITE VO$ PLACE$ !!