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Julie Christmas-Ridiculous And Full Of Blood

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Ah, Julie… Quel joli prénom… Qui fleure bon la candeur, l’innocence, l’encaustique (Mary Poppins / Julie Andrews) et la majesté antique (par le biais de César). Quand je pense à Julie - le prénom - je ne pense pas à son Jules ni au lit de Julie, mais je pense à sa blondeur (forcément) et à une floraison de rires dans un champ de pâquerettes sous l’oeil émerveillée de lapins blancs et asexués.

Et Christmas ! Quel nom ! Ne convoque-t-il pas la vision d’enfants émerveillés rêvant devant une vitrine rougeoyante sous un tapis de neige virevoltante et d’adjectifs ronronnants tandis que des rennes blancs et asexués (encore ! – comment ça j’ai vu trop de Disney ?) sarabandent sans bander dans le ciel… asexué ? Non. Non ?
Alors on va pas être copains.

La seule fois où j’ai vu Julie Christmas en concert, au Roadburn 2023, elle n’était ni blonde ni candide : elle avait les cheveux noirs et un regard plus noir encore et elle est entré sur scène d’un pas résolu en tenant une paire de ciseaux dans les mains et je me souviens très clairement m’être dit ça va mal se terminer, cette histoire. En fait, ça a bien commencé - avec Bones in the water de Battle Of Mice (frissons sur tout le corps, comme si l’effroi et la beauté de découvrir de vrais os, polis par le temps et le talent, dans un véritable cloaque avait mué en chanson). La bataille de souris venait de commencer, sous la forme de onze petits pugilats musicaux, parmi lesquels Not enough, The ash et End of the world qui viennent hanter le nouvel album. A la fin, elle s’était servi des ciseaux pour découper une partie des fanfreluches qui ornaient sa robe – oripeaux qu’elle avait jeté dans le public - et j’en possède toujours un échantillon dans ma boîte au trésor et non, je ne suis pas fétichiste ! - et pour couper aussi une partie de ses cheveux : c’est un moindre mal, je m’étais dit, sans que soit toutefois soulagée cette tension et ce sentiment de malaise qui me traversait quand je la regardais déambuler sur scène.

Julie Christmas, c’est la fille, la mère, la tante, la soeur que nous rêvons tous de ne pas avoir. Celle qui fait assaut de manières et de gentillesse, qui tricote et qui marmone paisiblement au coin du feu, avec un plaid un peu bizarre – c’est quoi ce motif - j’arrive pas à voir - on dirait un diable ou un animal de cauchemar - non c’est quand-même pas ça… – étalé sur les genoux, celle qui parle avec une voix de petite fille un peu félée – la voix, la personne – et dont la collection de vieilles poupées aux yeux fixes, aux robes à froufrou fanées, aux pommettes trop roses pour être vraies vous font un peu – non, très peur. Celle que l’on entend hurler aussi quand on vient chez elle à l’improviste et qu’on la surprend à errer dans la cave ou le grenier. Tante Julie : quand vous vous remémorez son passé – les batailles de souris, tout ce qui a été fait avec des bébés - et quand vous regardez la pochette du dernier album, vous le percevez, le malaise ? Vous les appréhendez, les zones de flou ? Vous mesurez la distance qui sépare un sourire d’une grimace et vous le sentez, l’opiacé qui sommeille dans le sépia ?

Ridiculous and full of blood, donc. L’album. Rien de ridicule à son écoute – ce ridicule dont on dit qu’il ne tue pas mais qui oxyde, oxyde, oxyde et décompose nos vies – et du sang partout, certainement : celui des bleus, des blessures, des menstrues, des fausses couches et des coups de sang.

Not enough commence sur des percussions frénétiques – ce flamenco des crises de nerf en hauts talons, ou la machine à écrire d’un flic qui n’arrive pas à suivre la frénésie de Julie – avant qu’une guitare lancinante et aigre ne vienne aguicher le chant.

Supernatural : évident, mélodiquement, on se dit que ça va couler tout seul et puis au moment du refrain, le cri, les tripes, ce oh supernatural qui semble tirer les mots du fond d’un puits.

The ash commence par une mélodie malade et une guitare ivre, par un chant subtil et mélodieux avant que cette envolée de cendres ne dévoile, au milieu du morceau, des choeurs au pouvoir consolateur.

Une guitare en forme de porte qui grince : et derrière on aperçoit Thin skin, un cauchemar fait chanson. Quand Julie crie run !, croyez-moi, on n’a qu’une seule envie : celle de prendre ses jambes à son cou.

The end of the world pourrait être une chanson d’amour ; ou de séparation ; de résilience ; ou de défiance. C’est un duo, comme le duodénum porteur d’un ulcère, grèle et acide.

Silver dollars et Kids sont dans le ventre de l’album, musclés et durs comme des abdominaux. Les paroles en forme d’écriture automatique de Julie continuent à échapper à notre compréhension, et à faire travailler notre imagination.

The lighthouse – l’un des morceaux préférés de J.C. sur cet album (cf. interview dans le dernier New noise) – se dresse au milieu d’un océan de rage et de ténèbres, tandis que Blast et ses choeurs sous camisole nous ouvrent, comme les huîtres d’un conte de Lewis Carrol dont elle s’inspire, à la violence du monde.

Enfin, Seven days, prière anti-religieuse, est le dixième et dernier commandement de cet album fulgurant, passionné et passionnant, enregistré et composé par un groupe soudé (Johannes Persson de Cult Of Luna, Chris Enriquez de Spotlights…) autour d’une parolière et d’une chanteuse rare. Ecoutez cet album. Ecoutez-le demain et après-demain. Ecoutez-le jour après jour et vous verrez que, contrairement au dicton, c’est tous les jours Christmas. Il est temps de délacer la camisole et d’étreindre Julie qui vous le rendra bien même si parfois, elle serre ridiculeusement fort – mais full of blood, comme le sang et la vie et la passion qui palpitent dans nos veines.

Valley

Artiste présent en 2024 le samedi

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