Je vous livre l’article paru dans Le Monde aujourd’hui. Je suis en accord total avec ce qui y est dit. Je serais même plus sévère, y compris dans les moyens à mettre en œuvre. Les cyclistes sont devenus des machines à pédaler, guidés par leurs ordinateurs, leurs capteurs et leurs calculateurs, chacun sous les ordres de son Big Brother qui suit dans sa voiture. Que reste-t-il d’humain ?..
J’attendais les étapes de montagne car le plat m’emm… désormais, avec les équipes de sprinteurs qui raflent méthodiquement toutes les victoires, et le terme « baroudeur » qui disparait progressivement de la terminologie cycliste. J’espère encore un peu des Pyrénées pour l’animation et le panache (sans trop d’illusions, quand on voit le résultat des quelques tentatives de Bardet/Dumoulin…, courageux mais pas récompensés) et les prochaines étapes de plaine où on pourra peut-être voir un costaud gagner en solitaire après 100 km d’échappée… à condition qu’il soit à 45mn minimum au général, sans quoi aucune chance que sa tentative n’aboutisse. Que reste-t-il de palpitant dans un cyclisme aussi convenu ? Les bordures, les défaillances et les chutes ?.. C’est bien triste, et même les magnifiques paysages alpins ne me consolent pas de la fadeur du Tour.
Mais bref. Nous verrons au cours des jours à venir. En attendant, un peu de lecture :
Le Tour de France va droit dans le « mur blanc » de la Sky
L’Alpe-d’Huez désertée, audiences en berne et sifflets aux arrivées : la domination de l’équipe Sky et de ses maillots blancs pose des problèmes concrets au Tour.
Jeudi 19 juillet, Bourg-Saint-Maurice, bitume fondu. Les huit coureurs du Team Sky montent ensemble sur le podium de présentation, pour recevoir le trophée de la meilleure équipe. Chacun joue son rôle dans une scène surréaliste, en passe de devenir quotidienne sur le Tour de France 2018 : le public hue, le Team Sky salue, et le speaker vante « la banane de Guadeloupe », sponsor du classement. Quelques instants plus tôt, un haut responsable de l’organisation, l’air embêté, disserte sur le rouleau compresseur de l’équipe lors de la deuxième étape des Alpes, la veille, direction La Rosière : « Ça va finir par être emmerdant pour le cyclisme. »
Christopher Froome, quadruple vainqueur, n’est pourtant que deuxième du classement général à la sortie des Alpes. Il a, pour l’instant, trouvé plus fort que lui : son coéquipier Geraint Thomas, vainqueur à La Rosière puis à l’Alpe-d’Huez. Apprécié en Grande-Bretagne, inconnu ailleurs, le Gallois de 32 ans, accumule 1 minute et 39 secondes d’avance au classement général. Il clame encore qu’il n’est pas le mieux placé pour gagner le Tour de France. Pas grand monde ne le croit. Les Pyrénées jugeront.
Tom Dumoulin (Sunweb) semble le dernier en situation d’y contester la victoire finale aux Britanniques. Dumoulin : un Néerlandais longiligne, affable, courant juste ; un Froome qui serait élégant. Son directeur sportif, Luke Roberts, a cru déceler « une faiblesse » chez Sky. On s’est pincé : depuis deux jours comme depuis trois ans, les maillots blancs composent, au pied du dernier col de l’étape, un tiers du peloton de tête d’une vingtaine de coureurs.
Un scénario éprouvé
Les étapes obéissent à un scénario éprouvé : toute la journée, les six équipiers de Froome et Thomas imposent un rythme méthodique qui annihile toute offensive menaçante. Dans le dernier col, un dernier accélère et laisse ensuite les deux hommes en compagnie d’adversaires qui se comptent sur les doigts d’une main. Mercredi, des leaders configurés pour monter sur le podium du Tour – Adam Yates, Jakob Fuglsang, Ilnur Zakarin – ont sauté comme du pop-corn sur un long relais du Polonais Michal Kwiatkowski, numéro quatre dans la hiérarchie interne de Sky. Le lendemain, c’est Egan Bernal, grimpeur colombien de 21 ans, qui a ridiculisé les tentatives d’offensive de Vincenzo Nibali, Nairo Quintana et Romain Bardet. Asphyxiés, les audacieux semblaient se débattre au bout d’une laisse de moins de 100 mètres et étaient finalement ramenés à la niche. Seule la bravoure du Français, qui insista encore et encore, parvint à rendre l’ascension palpitante.
Depuis que Geraint Thomas a pris le maillot jaune, mercredi 18 juillet, les huées sont revenues sur le Tour
Depuis que Geraint Thomas a pris le maillot jaune, mercredi 18 juillet, les huées sont revenues sur le Tour. Elles l’avaient quitté au sortir de la Vendée, où le public les réservait à Froome. La suspicion du public français vis-à-vis de Sky ne date pas du contrôle antidopage anormal de ce dernier, en septembre 2017, dont il fut finalement blanchi cinq jours avant le départ du Tour de France. Elle est allée crescendo depuis sa première victoire, par Bradley Wiggins devant Christopher Froome, en 2012. Ce qui frappe, c’est à quel point les deux ont fini par s’accommoder de ce désamour. Il est acquis que la Sky ne fera pas semblant de souffrir pour rendre de l’intérêt au Tour. Et il est acquis qu’une partie du public la haïra pour cela. « Si les gens n’aiment pas Sky et veulent siffler, ça me va, mais laissez nous courir, disait Geraint Thomas à l’Alpe-d’Huez. Ne touchez pas les coureurs, ne nous crachez pas dessus. Un peu de décence. Exprimez vos opinions, mais laissez-nous courir. »
Des réformes envisagées par l’UCI
La montée vers la mythique station est toujours ce qui se rapproche le plus d’un stade de football, mais jamais le public du Tour n’en avait adopté les rites les plus exécrables : insultes, crachats paraît-il, coup, même, donné par un homme en short vert à Christopher Froome. Autre constat visuel : les rangs des spectateurs étaient étonnamment clairsemés le long des 21 lacets, et l’organisation de cette étape reine des Alpes un jeudi n’explique pas tout. La tendance est lourde : dans toute l’Europe, les audiences du Tour ont été mauvaises jusqu’à Roubaix, en partie à cause de la concurrence de la Coupe du monde de football. La fin du Mondial ne signale pas d’amélioration particulière : la première grande étape de montagne, mercredi sur France 2, n’a attiré que 3,9 millions de téléspectateurs, contre une moyenne de 4,5 millions pour les étapes accidentées l’an dernier.
« Il est difficile de rester devant son poste de télévision, pendant cinq heures, en sachant ce qui va se passer à l’arrivée »
Le Tour déserté ? « Normal », s’amuse Cyrille Guimard. Les sifflets ? « Normal aussi. » Le sélectionneur de l’équipe de France de cyclisme sur route, sept Tours de France remportés en tant que directeur sportif (de 1976 à 1984), se pose mille questions en commentant la course sur RMC. La principale : combien de temps le cyclisme résistera-t-il encore à la suprématie de la Sky, qui rappelle celle de l’US Postal de Lance Armstrong ? « Il y a évidemment un problème. Indépendamment de toutes autres considérations [sur un éventuel dopage chez Sky], il est difficile de rester devant le mur blanc, devant son poste de télévision, pendant cinq heures, en sachant ce qui va se passer à l’arrivée. Il faut repenser le cyclisme car on va dans le mur. On y est déjà, d’ailleurs. (…) Plus que le spectateur, c’est le coureur qui doit s’emmerder ! Je m’imagine en 10e ou 15e position du groupe maillot jaune, derrière le mur blanc. Je me dis : “Qu’est-ce qu’on fout là ?” »
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Individuellement, les leaders de la Sky ne produisent plus les mêmes performances ahurissantes que par le passé, mais l’emprise collective est toujours aussi forte. Elle n’a pas été touchée par le passage de neuf à huit du nombre de coureurs par équipe. Idéalement, le Tour l’aurait réduit à sept, et à l’Union cycliste internationale (UCI), certains ne seraient pas contre. Le projet d’une limitation de la masse salariale est aussi dans les cartons de la fédération internationale, qui aimerait ainsi empêcher la formation d’équipes surpuissantes. Il sera dur à faire accepter aux grosses écuries, encore plus compliqué à appliquer. On reparle aussi de l’interdiction des oreillettes ou des capteurs de puissance, grâce auxquels l’équipe Sky peut appliquer sa course millimétrée. Le président de l’UCI, le Français David Lappartient, l’admet en privé : devant le Tour, lui aussi s’ennuie.